Profils lévisiens. Deuxième
série
Pierre-Sévère
Riverin
Ceci remonte à plus de soixante ans. Je
vois encore M. Pierre-Sévère Riverin descendant la Côte du Passage pour se
rendre à Québec, une serviette sous le bras. Il ne portait pas le prénom de
Sévère pour rien. Il avait toujours l’air préoccupé, sévère même et, chaque
fois que je le voyais, je me demandais si cet homme souriait parfois. Je ne lui
ai jamais parlé mais ceux qui l’ont connu m’affirment qu’il était très droit en
affaires, d’une honnêteté scrupuleuse, et excellent père de famille. Sa
rigidité n’était qu’apparente.
Ferblanquier de son état, M. Riverin
avait son établissement dans la Côte du Passage, près de son interception avec
M. Riverin était à l’origine un des
propriétaires de
Un peu plus tard, M. Riverin vendit ses
intérêts dans
M. Riverin décéda à Saint-Ambroise de la
Jeune-Lorette le 19 mai 1891, à l’âge de 67 ans.
M. Riverin eut plusieurs enfants de ses
deux mariages. Un de ses fils fait commerce à Québec sous le nom de S.-O.
Riverin et Cie, et une de ses filles est religieuse au monastère des Ursulines
de Québec sous le nom de Mère Saint-François de Borgia.
(Voir pages 33
et 34)
Georges-Taylor Davie
Allison Davie, capitaine de navire, né
en Écosse, était venu plusieurs fois à Québec au cours de ses navigations.
Expert dans la construction et la réparation des navires, il décida, en 1829,
d’établir à Lévis un chantier pour la réparation des navires à voiles. Ce genre
d’établissement manquait encore dans le port de Québec.
M. Davie acheta de Joseph Carrier un vaste terrain sur le bord du Saint-Laurent et y
bâtit un quai puis une cale-sèche flottante. Le port de Québec recevait alors,
chaque année, des centaines de navires de toutes sortes. Le chantier de M.
Davie prit vite de l’importance. Sa cale-sèche ne suffisait pas aux besoins de
son industrie, M. Davie inventa un système ingénieux pour réparer les navires
sans les mettre en cale. Il installa dans son chantier des rails de bois et à
l’aide de puissantes chaînes, il tirait les bâtiments à terre. De cette façon
plusieurs navires pouvaient être réparés en même temps. Une fois le travail
terminé, le navire s’en retournait dans le fleuve par le même procédé. Allison
Davie se noya accidentellement dans le port de Québec en juin 1836.
(Voir pages 74
et 75)
Thomas-Downs Shipman
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Chaque hiver, les
demoiselles Shipman organisaient trois ou quatre séances dramatiques ou
concerts pour le bénéfice des pauvres ou des orphelins de l’Hospice
Saint-Joseph de
(Voir page 99)
Les sept frères Desjardins
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M. Joseph Desjardins avait publié en
1902 un Guide parlementaire historique de la province de Québec. Cet ouvrage de
près de 400 pages est un précieux guide pour tous ceux qui s’occupent quelque
peu de politique. Il donne la liste de ceux qui à titre de députés, de
conseillers législatifs ou ministres se sont occupés de la chose publique de
1791 à
(Voir page 152)
Les frères Laîné dit Lebon
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On a souvent parlé des curieuses
transformations que les noms de famille subissent dans la province de Québec.
Les surnoms sont dans la plupart des cas la cause ou l’origine de ces
changements. Quand les familles du même nom sont nombreuses dans une paroisse,
pour les distinguer, les gens donnent des surnoms à un certain nombre et
parfois le surnom, avec le temps supplante le nom original. Pour ne citer que
des cas lévisiens, mentionnons les Roy dit Desjardins, les Alain dit Bolduc,
les Lecours dit Barras, les Flamand dit Ladrière, etc., etc. On pourrait en
retracer peut-être des douzaines d’autres. Mais un cas typique entre tous est
celui des frères Laîné dit Lebon. L’un était un important marchand de
Cinq frères Laîné dit Lebon ont vécu à
Lévis, Maxime, Anselme Israël, Damase et Samuel. Ils étaient originaires de
Saint-Gervais de Bellechasse et je crois que leur grand’père était parti de
Beaumont pour ouvrir une terre dans Saint-Gervais.
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Damase manifesta dès son enfance une
prédilection marquée pour
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Israël Laîné dit Lebon fut marchand rue
Saint-Georges pendant plusieurs années. En 1880, il allait s’établir à
Sainte-Marie de la Beauce où il devint un des plus importants marchands de
toute la région de
Samuel Laîné dit Lebon fut toute sa vie
un des principaux contremaîtres des usines Carrier,
Laîné et Cie. Il décéda à Lévis le 13 octobre 1926 à l’âge de 83 ans.
(Voir page 162)
Calixte Dagneau
Né à Saint-Gervais de Bellechasse le 8 janvier 1838, du
mariage de Calixte Dagneau, forgeron, et de Marie-Geneviève Nolin,
David-Calixte Dagneau entra à l’emploi de M. Louis Carrier
marchand, dès avant 1860. Lorsque M. Louis Carrier
abandonna le commerce en 1869, une société fut formée pour continuer son
magasin. Elle était composée de MM. Charles-William Carrier,
Calixte Dagneau et Théophile Lamontagne et prit le nom de Carrier, Dagneau et Cie. Cette société fut dissoute en
novembre 1873 et remplacée par une autre société composée de MM. Calixte
Dagneau et Martial Vallée.
(Voir page 163)
Charles-William Carrier
Il n’y a pas encore un an, un important industriel de Lévis
en vayage d’affaires dans la province d’Ontario, avait l’occasion de visiter un
grand établissement industriel qui emploie quelques centaines d’ouvriers. Le
patron, apprenant que son visiteur était de Lévis, s’empressa de le conduire
dans le bâtiment de l’usine où se trouvaient la plupart des machines qui
faisaient fonctionner tous les ressorts de l’établissement. Quelle ne fut pas
la surprise de l’industriel lévisien en constatant que ces machines avaient été
fabriquées par l’usine Carrier, Laîné et
Cie, de Lévis.
Le patron ontarien fut fier de déclarer à son ami que ces
machines fonctionnaient admirablement et lui avaient demandé très peu de
réparations depuis leur installation. Et, pourtant, ces machines avaient plus
d’un demi-siècle d’existance.
Il faut parfois aller assez loin pour apprendre qu’on peut
trouver chez-soi ce qu’on va chercher à l’étranger avec beaucoup de fatigue et
des dépenses assez élevées. En effet, au temps où l’usine Carrier, Laîné et Cie fonctionnait que d’industriels
québécois faisaient venir de Montréal et d’ailleurs, les machines qu’ils
auraient eu meilleur compte simplement en se rendant à Lévis.
J’ai assisté, le 14 août 1908, à la porte de l’église
paroissiale de Notre-Dame de Lévis, à la vente par autorité de justice de
l’usine Carrier, Laîné et Cie qui, depuis plus de trente ans, était
la plus importante et la plus connue de toute la région de Québec. Cruelle
ironie du hasard, au moment précis où l’huissier priseur adjugeait
l’établissement complet à la Banque de Montréal pour la somme réellement
ridicule de $380,000, la sirène d’un streamer qui entrait dans le port de
Québec fit entendre un son qui ressemblait étonnamment au criard si connu qui
le matin et l’après-midi appelait à l’ouvrage les nombreux ouvriers de l’usine.
Pour les trois quarts de ceux qui étaient là, surtout pour
les ouvriers de l’usine qui changeait de propriétaire, ce cri de sirène était
un glas, le dernier de la boutique où ils gagnaient leur vie. Je me trouvais à
côté de Thom Lemelin, un des principaux contremaîtres de Carrier, Laîné et Cie, et le brave homme qui n’avait peut-être
jamais pleuré de sa vie, se porta vivement la main à la figure comme s’il avait
voulu retenir une larme qui tentait de couler sur sa joue énergique. C’est que
Lemelin était entré à l’usine tout jeune garçon, qu’il y avait fait son
apprentissage et qu’elle était devenue pour lui presque la maison paternelle.
Il se rendait bien compte que la boutique, comme il l’appelait, fermait ses
portes à jamais et que la grande famille formée par Charles-William serait
forcée de se disperser. Les ouvriers de Carrier,
Laîné et Cie avaient été formés de telle façon par leur patron qu’ils étaient
unis comme des frères. On peut presque dire qu’ils formaient une caste à part
dans
J’ai lu autrefois l’histoire de l’industrie fondée par M.
Harmel, en France, sur le plan chrétien et telle que le veulent les directives
des Souverains Ponctifes. J’ignore si Charles-William Carrier, le fondateur de l’usine Carrier,
Laîné et Cie, connaissait la fondation de M. Harmel, mais, sûrement, il s’était
inspiré des mêmes principes et des mêmes moyens que ce grand chrétien pour
jeter les bases de l’établissement qu’il dirigea jusqu’à sa mort. M. Carrier n’avait peut-être pas lu la vie de M. Harmel, mais il
avait appris le Petit Catéchisme de
Québec et ce petit livre lui avait appris à traiter ses ouvriers non en
mercenaires mais comme des collaborateurs, presque des associés.
Charles William Carrier est
décédé depuis plus de soixante ans. L’usine que son génie avait édifiée est
également disparue. Des grands bâtiments qui bordaient la principale rue
commerciale de Lévis sur une distance de plusieurs centaines de pieds, il ne
reste pas une pierre, pas même une trace. On dirait que le sort s’est acharné à
faire disparaître tout vestige de l’unique entreprise tentée au Canada pendant
le siècle dernier sur une base coopérative ou, tout au moins, sur un plan où
les ouvriers étaient aussi intéressés que le patron au succès et à la
continuité d’une usine qui faisait l’honneur et le profit du maître et de ses
employés.
Il me semble toutefois que la vie de l’industriel
canadien-français qui créa l’usine Carrier, Laîné et
Cie, mérite d’être rappelée aux jeunes générations. Les méthodes industrielles
et commerciales changent avec les années. Les manufacturiers d’aujourd’hui sont
peut-être supérieurs à Charles-William Carrier
dans leurs moyens d’arriver au succès, à
La radio et les journaux nous parlent à la journée des grèves
qui se déclenchent un peu partout dans notre pays comme aux États-Unis et sur
le continent européen. Notons qu’il n’y eut jamais de grève à l’usine Carrier, Laîné et Cie. Pourquoi? C’est que le patron
connaissait ses devoirs envers ses employés et que ceux-ci de leur côté, ne
permettaient pas aux fauteurs de désordres, aux exploiteurs du peuple, de
pénétrer dans leurs rangs. N’y aurait-il que cette leçon à apprendre de la vie
de M. Carrier que les Jeunes retireraient bon profit de leur
excursion à travers l’existence d’un patron et d’une usine du siècle dernier.
On me pardonnera de parler un peu longuement de M. Carrier et de sa création. Lévis est une ville à trois étages
ou plutôt à trois plateaux. L’usine Carrier, Laîné et
Cie était située sur le premier plateau, celui qui longe le fleuve. Je suis né
et j’ai été élevé sur le deuxième plateau, presque en face de l’ancienne usine.
De ce plateau assez élevé on a une vue sur toute
Après soixante et quelques années, ces heures de jouissance
me reviennent devant les yeux et à la mémoire avec tous leurs détails typiques
et je voudrais être capable de tenir un pinceau pour les fixer sur la toile
afin qu’on les contemple comme je les voyais alors. Mais je n’ai qu’une plume
impuissante pour retracer toutes ces scènes. Mes humbles souvenirs donneront
tout de même une idée des beaux jours de l’usine Carrier,
Laîné et Cie alors qu’elle était encore sous la direction de son fondateur.
Une revue scientifique, je crois me rappeler que c’était le Scientific American, donnait, il y a une vingtaine d’années, la traduction d’une étude d’un savant allemand qui établissait une comparaison entre la valeur économique d’un multimillionnaire sans enfant et un simple ouvrier fondateur d’une famille. Le savant à lunettes soutenait une thèse assez curieuse mais tout de même passablement convaincante. A la mort du millionnaire sans enfant, disait-il, son utilité pour l’État disparait ou à peu près. Le gouvernement prend une bonne partie de sa fortune et le reste s’en va un peu partout, à des parents et à des amis. Son rôle est donc fini et son utilité disparait avec lui. En est-il de même à la mort de l’ouvrier sans le sou mais père de famille? Et ici la thèse de l’Allemand était bien consolante pour ceux qui n’ont pas de millions mais peinent toute leur vie pour élever leurs enfants. L’ouvrier, disait-il, père de six ou sept enfants devient en moins d’un siècle le fondateur d’une lignée de cinq ou six générations. Le travail de sa vie se poursuit donc en faveur de l’État à mesure que les années se succèdent puisqu’il lui donne des centaines de citoyens. Ce qui fait la valeur d’un pays, en effet, ce n’est pas la richesse des individus mais l’augmentation de sa population. Cette comparaison originale du savant allemand m’est revenue à la mémoire quand j’ai voulu étaler d’une façon approximative le nombre des descendants de Jean Carrier, qui vint s’établir dans la Nouvelle-France un peu avant 1670. On en compte sûrement plusieurs milliers.
Jean Carrier, originaire de Saint-Georges, évêché de Xaintes, épousa à Québec, le 14 novembre 1670, Barbe Hallé (1) et en eut plusieurs enfants. Il fut un des premiers colons de la seigneurie de Lauzon. Ses descendants sont dispersés un peu partout dans la province de Québec, mais le foyer des Carrier a toujours été dans le comté de Lévis. La seule cité de Lévis compte actuellement près de cent familles Carrier. La ville de Lauzon en a un peu moins et chacune des autres paroisses du comté de Lévis peut se flatter de posséder plusieurs familles du même nom.
Les Carrier, depuis près de trois siècles, se sont distingués dans tous les genres d’occupations. Ils ont fourni à notre clergé plusieurs prêtres distingués. Les professions libérales, le commerce et l’industrie, ont également compté bon nombre de Carrier. Mais je crois que la majorité des descendants de Jean Carrier se livrent à la plus noble et à la plus utile profession, celle de l’agriculture.
Qu’il me soit permis de mentionner ici Jean-Baptiste Carrier,
de St-Henri de Lévis, un ardent patriote qui, en 1838, au péril de la perte de
ses biens et même de sa vie, conduisit à la frontière américaine les patriotes
Dodge et Theller, échappés de la citadelle de Québec où on les détenait pour
crime de haute trahison. L’exploit de Carrier fit sensation dans le temps et on en
parle encore quand il s’agit de faire connaître aux jeunes ces événements de
1837-1838 qui prouvèrent à l’oligarchie anglaise que les Canadiens Français
voulaient bien demeurer sujets de
Charles-William Carrier était donc de bonne souche. Sa généalogie s’établit comme suit :
Première génération : Jean Carrier, marié à Barbe Hallé (14 novembre 1670).
Deuxième génération : Jean Carrier, marié à Jeanne Samson (15 avril 1705, date du contrat de mariage).
Troisième génération : Jacques-Charles Carrier, marié à Catherine Huard (10 Avril 1736).
Quatrième génération : Charles Carrier, marié à Marguerite Maranda (17 avril 1769)
Cinquième génération : Charles Carrier, marié à Thérèse Couture (2 Février 1796).
Sixième génération : Ignace Carrier, marié à Marie-Louise Dallaire (26 octobre 1824).
Septième génération : Charles-Guillaume Carrier (William Carrier), marié à Henriette Carrier (1 juin 1864).
Ignace Carrier, père de Charles-William Carrier, originaire de la vieille paroisse de Saint-Joseph de Lévis, ne s’établit à St-Henri de Lévis qu’à l’été de 1826.
Ignace Carrier avait épousé à St-Joseph de Lévis, le 26 octobre 1824, Marie-Louise Dallaire, fille de feu François Dallaire et de défunte Catherine Levasseur. De ce mariage naquit plusieurs enfants :
1- Ignace Carrier, né à St-Joseph de Lévis, le 14 juillet 1825, et décédé au même endroit le 26 juillet 1826.
2- Augustin Carrier, né à St-Henri de Lévis, le 25 août 1826.
3- Eusèbe-Édouard Carrier, né à Saint-Henri de Lévis, le 7 février 1828, et décédé au même endroit le 18 août 1828.
4- Eusèbe Carrier, né à St-Henri de Lévis, le 13 mars 1829, et décédé au même endroit le 23 juillet 1829.
5- Georges-Ferdinand Carrier, né à Saint-Henri de Lévis, le 16 mars 1830. Mort célibataire à St-Henri le 10 décembre 1916.
6- Joseph-Octave Carrier, né à Saint-Henri de Lévis, le 28 septembre 1832.
7- Marie-Esther Carrier, née à St-Henri de Lévis, le 26 mai 1834.
8- François-Xavier Carrier, né à Saint-Henri de Lévis, le 1er mars 1836. Décédé au même endroit le 31 mars 1836.
9- Philomène Carrier, née à Saint-Henri de Lévis, le 26 septembre 1837.
10- Charles-Guillaume (William) Carrier, né à Saint-Henri de Lévis, le 21 février 1839. L’industriel dont il est question ici.
11- Marie-Louise Carrier, née à Saint-Henri de Lévis, le 6 avril 1832.
12- Marie-Henriette Carrier, née à Saint-Henri de Lévis, le 30 juin 1845, et décédée au même endroit le 22 octobre 1847.
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Je viens de parler des obstacles qui se
dressaient devant les habitants des campagnes pour faire instruire leurs fils.
Ces obstacles le père de Charles-William Carrier
les rencontra. A la tête d’une famille assez nombreuse, pas riche, il fit
cependant les sacrifices nécessaires pour donner l’instruction voulue au
dernier de ses fils. Son intelligence et son esprit d’observation lui disaient
que le jeune homme avait de réelles dispositions pour le commerce. C’est
pourquoi il résolut de le confier au Frères des Écoles Chrétiennes que le curé
Déziel, de Notre-Dame de Lévis, venait de charger de la direction du collège de
Lévis fondé en 1853.
Il le mit en pension chez un parent
établi à Lévis et le jeune homme suivit les cours des Frères des Écoles
Chrétiennes en qualité d’externe. Un professeur laïc de langue anglaise était
attaché au collège. C’est là que le jeune Carrier
apprit les éléments de la langue anglaise. Plus tard il compléta son
instruction en suivant des cours privés, et il parvint si bien à maîtrisés les
difficultés de cette langue qu’il la parlait pour ainsi dire aussi bien que
s’il était né sur les bords de la Tamise.
Charles-William Carrier n’oublia jamais que les Frères des Écoles Chrétiennes
lui avaient donné une solide formation et, en 1886, le Frère Herménégilde, de
passage à Lévis, après une absence de près de 30 années, voulut revoir ses
anciens élèves. Un bon nombre de ceux-ci le rencontrèrent au collège de Lévis,
devenu collège classique en 1875, Charles-William Carrier
fut un des premiers à se rendre au rendez-vous. Il ne manqua pas de remercier
le vieux Frère pour tout ce qu’il avait fait pour lui. Jeune écolier, j’ai vécu
cette journée du 7 février 1886 et j’en ai gardé un souvenir émouvant. C’est
alors que j’ai appris que si le métier d’instruire la jeunesse est parfois bien
ingrat il a tout de même ses heures de consolation. Le vieux Frère Herménégilde
pleurait presque de joie en recevant les remerciements de ces hommes parvenus
au succès grâce aux leçons qu’il leur avait données dans leur enfance. La
récolte est la récompense du semeur. L’instituteur reçoit la sienne dans le
succès de ceux qu’il a formés. Avec raison, il peut s’orgueillir de son
travail.
A sa sortie du collège, Charles-William Carrier entra comme commis au magasin de M. Louis Carrier, le principal négociant de Lévis à l’époque. Ce
magasin était situé côte du Passage, près de
Lévis n’était alors traversé par aucun
chemin de fer et les habitants de tous les comtés environnants venaient vendre
leurs produits à Lévis et, au retour, rapportaient chez eux les marchandises
dont leurs familles avaient besoin. C’est dire qu’au magasin de M. Carrier les commis ne chômaient pas. De plus, à quelques pas
du magasin de M. Carrier, deux
concurrents. MM. Étienne Dallaire et Georges Couture, plus tard conseiller
législatif, avaient établi des postes de commerce. Les employés de ces trois
importantes maisons de commerce luttaient pour amener à leurs magasins
respectifs les clients de la campagne qui, presque tous descendants de
Normands, usaient de bien des tours pour obtenir les meilleurs conditions
possibles des vendeurs. Les commis, souvent, devaient discuter des heures avec
les acheteurs pour une vente de quelques dollars.
M. Louis Carrier,
patron du jeune Charles-William Carrier, était un
des citoyens les plus en vue de Lévis. Sa fortune, ses relations d’affaires
avec toutes les classes de la population, ses qualités personnelles lui avaient
acquis une réputation enviable. Aussi, lors de l’incorporation de la ville en
1861, ses concitoyens furent unanimes à le choisir comme un des membres du
conseil de ville, et à la première réunion du conseil, le 6 août 1861, ses collègues
l’élisaient maire de la ville de Lévis.
Tout était à organiser à Lévis. Le maire
Carrier, pris par ses fonctions municipales, remit petit à
petit la gouverne de sa maison de commerce à son employé de confiance,
Charles-William Carrier.
Le Maire Carrier
n’avait qu’une fille, Henriette. Les jeunes gens se rencontraient souvent, ils
s’aimèrent et le mariage eut lieu le 1er juin 1863. Le maire Carrier avait vite apprécié les qualités d’homme d’affaires
de son gendre. Il lui abandonna dès son mariage la gouverne entière non
seulement de sa maison de commerce mais aussi de ses affaires personnelles. Il
n’eut pas à le regretter car son gendre augmenta considérablement ses affaires
par impulsion nouvelle qu’il donna à son magasin et par les placements heureux
qu’il fit des capitaux de son beau-père.
Les premières industries à Lévis furent
établies par des étrangers. La constatation paraîtra peut-être un paradoxe mais
les étrangers voient souvent plus vite que ceux qui y vivent depuis leur
naissance les avantages d’une ville pour le commerce ou l’industrie. Les belles
anses de la rive-sud du Saint-Laurent faisaient la joie et l’orgueil des
lévisiens mais aucun n’avait songé que ces anses étaient des lieux propices
pour la construction des navires. Il n’y avait pour ainsi dire aucune dépense
d’installation pour ces chantiers.
Dès 1832, Allison Davie, né en Écosse,
établissait un chantier pour la réparation des navires dans une anse de la
rive-sud, en face même de Québec. Ce chantier, je suis fier de le proclamer,
s’est considérablement développé et est devenu la principale industrie de
Après M. Nicholson vint M. Tibbitts,
Celui-ci, originaire du Nouveau-Brunswick, ne se contenta pas de la seule
industrie de la construction des navires. Il exploita un magasin et une
fonderie qui eut son instant de vogue. M. Tibbitts fit venir des contremaîtres
d’Angleterre et d’Écosse et ceux-ci montrèrent leur métier de fondeurs à un bon
nombre de jeunes Canadiens-français qui devinrent plus tard aussi habiles que
leurs maîtres.
C’est la fonderie de M. Tibbitts que
Damase Laîné, un jeune rural de Saint-Gervais, fit son apprentissage. Il avait
de l’habilité et de l’ambition et, son apprentissage terminé, il résolut de
s’établir à son propre compte.
En 1864, Damase Laîné, convaincu qu’il y
avait place à Lévis pour une nouvelle fonderie, se décida à en établir une à la
haute ville. M. Charles-William Carrier, en
réponse à une adresse que ses ouvriers lui présentèrent le 7 décembre 1882,
expliquait comment il entra en société avec M. Laîné. « Je dois vous dire
qu’en
J’ajoute ici que la fonderie exploitée
par MM. Laîné et Carrier portait
le nom d’affaires de « Fonderie Canadienne ».
En 1864, le conseil de
ville de Lévis avait décidé que le quai Lauzon serait désorais le seul
débarcadère pour les bateaux qui faisaient la traversée entre Québec et Lévis.
Et. Un peu plus tard, il décidait également que
Le 3 janvier 1868, le progrès de Lévis disait :
« Nous apprenons que quelques citoyens de cette ville viennent de se
former en société pour doter Lévis d’une nouvelle fonderie. Cet établissement
serait à quelques pas seulement du Débarcadère, près de
Le 16 avril
Le 1er octobre 1870,
Charles-William Carrier,
Pierre-Sévère Riverin et Damase Laîné faisaient savoir au public, par voie des
journaux, que la société qui avait existée entre eux sous les noms et raisons
de D. Laîné et Cie était dissoute et que toutes les affaires de la dite société
seraient régies par la nouvelle société Carrier,
Laîné et Cie, composée de Charles-William Carrier,
Pierre-Sévère Riverin, Damase Laîné et Louis Carrier :
C’est une nouvelle phase qui commençait
dans l’histoire de l’industrie lévisienne qui avait eu un commencement si
modeste.
Dès
Son projet était d’ajouter à la fonderie
déjà existante une usine où on fabriquerait la machinerie nécessaire aux
bateaux et aux moulins de toutes sortes.
Entre temps, les affaires de la fonderie
allaient si bien qu’à l’automne de 1871 on ajoutait un nouveau bâtiment à celui
qui existait déjà.
Le Canadien, de Québec, du 4 novembre
1872 faisait voir à ses lecteurs les progrès de
Le 16 mai 1873, l’Écho de Lévis mettait ses lecteurs au courant des progrès
constants de
« En prévision de l’immense
impulsion que devra prendre le commerce à Lévis d’ici à quelques années les propriétaires
de
« D’ailleurs, l’entretien seuls des
chemins de fer comme l’Inter colonial, le Kennebec, le chemin de fer du Nord,
les chemins de fer de Gosford et du lac Saint-Jean pourra suffire pour
alimenter plusieurs établissement du genre de celui dont nous parlons. M. C.-W.
Carrier
lui cèdera l’immense lot entre les quais McKenzie et Barras qu’il a acheté du
gouvernement. C’est la plus belle grève que l’on puisse voir. Le terrain a cent
pieds de front sur la rue et 470 sur le fleuve, avec une superficie de
C’est donc à partir de 1873 ou au début
de 1874 que
Les commandes arrivaient si nombreuses
et si pressantes à l’usine Carrier, Laîné et
Cie que le bâtiment de
Ce nouveau bâtiment terminé donnait à
l’établissement une longueur totale de près de
« MM. Carrier,
Laîné et Cie font construire un bâtiment de
Un peu plus tard, comme on ne pouvait
plus allonger l’usine du côté nord de
Puisque nous parlons des constructions
de l’usine Carrier, Laîné et
Cie il n’est pas hors de propos de donner un souvenir à un vieux bâtiment qui
servit aussi d’entrepôt à la même usine. Je veux mentionner l’ancien hôtel
Lauzon ou McKenzie. Cet hôtel bâti par le seigneur Caldwell en 1818, devint la
propriété de James McKenzie qui lui donna une grande vogue. Pendant près d’un
quart de siècle, l’hôtel fut fermé et le bâtiment se détériora rapidement. A la
fin, il fut acheté par MM. Carrier, Laîné et
Cie qui détruisirent les deux étages supérieurs. Les belles dalles de l’étage
principal servirent à égarer les poêles et les ustensiles de cuisine de toutes
sortes qui sortaient de l’usine. Triste sort d’un édifice qui avait reçu tant
de visiteurs de marque! C’est dans l’hôtel Lauzon ou McKenzie que les électeurs
avaient offert un grand banquet à l’honorable François Lemieux, le 3 septembre
1856. En cette seule occasion, l’hôtel avait reçu une dizaine de ministres et
plusieurs des principaux personnages du pays. Les convives étaient au nombre de
plus de trois cents et ils en eurent pour leur argent car outre le menu
succulent de l’hôtel ils à digérer une vingtaine de discours.
Le jour de gloire de l’usine Carrier, Laîné et Cie, fut véritablement le 11 août 1882. Le
Marquis de Lorne, gendre de
Le maquis de Lorne, accompagné d’un
aide-de-camp, arriva de bonne heure à l’usine dans l’après-midi du 11 août 1882
et il n’en partit qu’à l’heure où les ouvriers quittèrent leur travail. Il
visita chaque département, se faisant expliquer le fonctionnement des machines,
questionnant en excellent français chaque ouvrier qu’il rencontrait, etc, etc.
Il voulut bien dire à M. Carrier avant de
laisser l’usine qu’il n’avait pas vue d’établissement mieux outillé dans tout
le pays et que nulle part il n’avait rencontré des ouvriers aussi satisfaits de
leur sort. De retour sur la citadelle de Québec, le marquis de Lorne prit la
peine d’écrire une lettre autographe à M. Carrier
pour le féliciter de l’organisation parfaite de son usine et lui dire quel
plaisir et quel profit il avait retirés de sa visite.
Cette lettre du marquis de Lorne, je
l’ai vu souvent dans le bureau de M. Carrier.
Conservé dans un riche cadre, elle était là sur le mur, bien en face de la
table de travail du patron qui était bien heureux de la faire lire à ses
visiteurs.
Qu’est devenu ce beau témoignage à
l’industriel canadien-français? Probablement détruit comme tout le reste du
grand établissement.
Nul n’a mieux compris que M. Carrier qu’il fallait pour l’ouvrier une formation tout comme
pour l’avocat, le médecin ou le notaire. On ne s’improvise pas mécanicien,
ingénieur ni même simple chaudronnier du jour au lendemain. Il faut un
apprentissage de plusieurs mois, parfois de quelques années. De cet
apprentissage dépend l’avenir de l’ouvrier. Si l’ouvrier a mal appris le métier
qu’il veut exercer il sera toute sa vie un artisan médiocre. C’est pourquoi M. Carrier s’intéressait tant au sort du jeune homme, de
l’apprenti qui entrait à l’usine. Dans son intérêt comme dans celui du jeune
homme, il voulait en faire un bon ouvrier.
Peu après la Confédération, le
gouvernement de Québec avait établi un Conseil des Arts et Manufactures. Ce
Conseil, très actif dès ses débuts, établit à Montréal et à Québec des Écoles
des Arts où jeunes gens et jeunes filles pouvaient apprendre, le soir, les
éléments du dessin industriel, commercial et même de fantaisie. M. Carrier, voulut faire profiter la jeunesse ouvrière de Lévis
des avantages accordés aux villes de Montréal et de Québec. Avec l’aide de M.
L.-I. Boivin, de Saint-Romuald, qui faisaient partie du Conseil des Arts et
Manufactures, il obtint une école de ce genre pour Lévis. Elle fut ouverte dans
la salle des délibérations du Conseil de ville, haut de
Un peu plus tard, M. L.-L. Boivin allait
s’établir à Montréal et le gouvernement de Québec choisit M. Carrier pour le remplacer au Conseil des Arts et
Manufactures.
Malgré ses nombreuses occupations, M. Carrier trouva toujours le temps de suivre pour ainsi dire
pas à pas les progrès de l’École des Arts de Lévis. Il se rendit très souvent
aux cours du soir et encourageait de toute façon ses employés à suivre ces
utiles leçons. Il fit même plus, en payant de ses propres deniers les
récompenses accordées aux élèves pour leurs succès.
De l’École des Arts de Lévis dirigée par
des professeurs compétents comme MM. Hypolite Larochelle et P.-N. Hamel sont sortis des élèves qui ont fait honneur à leurs maîtres
comme à leur ville. Quelques-uns de ces élèves devinrent de véritables
artistes. Les succès de MM. Joseph Schérer et Léonidas Guenette, devenus à leur
tour professeur, sont encore à la mémoire des anciens.
En 1882, les collègues de M. Carrier l’élevaient à la présidence du Conseil des Arts et
Manufactures.
Le Quotidien
du 10 mai 1882 disait, à l’occasion de l’élection de M. Carrier : « Nous voyons avec le plus grand plaisir
le nom de l’un de nos premiers citoyens, l’un de nos manufacturiers les plus
entreprenants, à la tête du Conseil des Arts et Manufactures. M. Carrier fait partie de cette importante société depuis
plusieurs années et ses connaissances étendues, sa réputation de grand
manufacturier, le désignaient au poste de confiance qu’il occupe aujourd’hui.
La ville de Lévis sera fière d’apprendre cette bonne nouvelle car l’honneur
rejaillit sur elle ».
M. Carrier
garda la présidence du Conseil des Arts et Manufactures jusqu’à sa mort. Son
zèle et son dévouement pour cette association ne se démentirent pas un seul
instant. Il est à noter que les membres du Conseil ne recevaient aucune
rémunération du gouvernement pour leurs services. Ils agissaient par pur
dévouement à la jeunesse qui voulait s’instruire.
Tout semblait sourire à Charles-William Carrier. Après moins de vingt ans d’existence, l’usine Carrier, Laîné et Cie avait plus de commandes qu’elle ne
pouvait en exécuter malgré ses agrandissements successifs. M. Carrier était à la veille de réaliser son rêve de créer à
Lévis une puissante industrie qui aurait fourni aux chemins de fer locomotives
et wagons. Il avait en mains la promesse formelle d’une commande considérable
du chemin de fer de l’État. Mais il faut toujours avoir à la pensée le mot
célèbre de Bossuet à propos de Cromwell : un grain de sable mit fin à ses
audacieuses entreprises. Pour M. Carrier le grain
de sable fut un banal mal de gorge qu’il négligea de soigner dès le début.
C’est en 1886 qu’il commença à ressentir
les atteintes de la maladie qui devait l’emporter. Une bénigne affection de la
gorge le retint quelques jours à
M. Carrier
revint de Californie le 22 mars 1887, et tenta de faire croire aux siens que sa
santé avait bénéficié de son séjour dans un climat chaud et enchanteur. Il se
rendit même pendant quelques jours à son usine, mais son extraordinaire énergie
seule le tenait debout. Il était frappé à mort. Bientôt, il dût garder
Ce miracle qui pouvait sauver ou tout au
moins prolonger la vie de leur patron, les ouvriers de l’usine Carrier, Laîné et Cie résolurent de le demander à
En 1887, les pèlerinages à Sainte-Anne
de Beaupré se faisaient encore en bateaux à vapeur. Le chemin de fer Québec,
Montmorency et Charlevoix n’existait encore qu’à l’état rudimentaire et les
automobilistes ne sillonnaient pas encore nos routes. J’ai vu, le matin du 2
juillet 1887, partir du quai de la Fonderie – c’est le nom qu’on donnait alors
au quai du gouvernement – le bateau qui conduisait les ouvriers de l’usine Carrier, Laîné et Cie à Sainte-Anne de Beaupré. Le spectacle
était vraiment touchant. La plupart de ces ouvriers amenaient avec eux leurs
femmes et leurs enfants. Les prières des petits ont tant de puissance là-haut!
Tous passèrent la journée à Sainte-Anne de Beaupré et les prières et
supplications de ces braves gens furent bien sincères. Les Pères
Rédemptoristes, gardiens du sanctuaire national, leur en ont rendu le
témoignage à maintes reprises.
Cet acte de dévotion, cette preuve
d’attachement à leur patron touchèrent profondément M. Carrier et lui rendirent l’espoir pour quelques jours. Mais
Dieu en avait décidé autrement et, le 18 septembre 1887, entouré des siens, et
du prêtre consolateur, il fermait les yeux à jamais, à l’âge de 48 ans et
quelques mois.
Je consigne ici le témoignage ému, que
rendait à M. Carrier, le
lendemain de sa mort, un de ses amis et admirateurs, qui avait
été à même de le suivre dans sa carrière utile. Le Quotidien du 19 septembre 1887 disait, sous la signature de
J.-Edmond Roy :
« C’est notre pénible part d’avoir
à annoncer la mort de M. Charles-William Carrier,
le propriétaire des usines Carrier, Laîné et
Cie. C’est dans la nuit de samedi à dimanche que M. Carrier
a cessé de vivre. Victime de la phtisie, il a été pendant de longs mois cloué
sur un lit de souffrance. Ni les soins touchants, ni le dévouement admirable de
toute une famille, ni les prières incessantes de tout un peuple d’ouvriers
n’ont pu détourner de nous ce malheur. Cette mort prévue depuis longtemps,
hélas! Jettera le deuil au milieu de nous. M. Carrier
laissera une large trace dans Lévis, car c’est lui qui, véritablement, y a crée
les industries dont notre ville s’honore. Il meurt en léguant à un
établissement considéré à bon droit comme le plus important dans l’industrie du
fer de tout le Dominion ».
Les funérailles de Charles-William Carrier eurent lieu le 21 septembre 1887, au milieu d’une
foule émue, qu’on estima dans le temps à plus de 2000 personnes. Détails
touchant qui montre bien l’attachement des ouvriers de Carrier, Laîné et Cie pour leur patron. Ils réclamèrent
l’honneur de porter sa dépouille mortelle de la maison mortuaire à l’église
Notre-Dame, et les coins du poële furent tenus pas son associé, M. Damase
Laîné, et ses principaux employés et contremaîtres, MM. William Young, Hypolite
Larochelle, Ambroise Poliquin, Alexandre Thomas et Thomas Lemelin.
M. Charles-William Carrier, au début de sa maladie, se faisait si peu illusion
sur ses suites, qu’il s’était rendu au cimetière Mont-Marie et y avait lui-même
choisi le lieu de sa sépulture, au fond de l’allée centrale, à l’ombre des
beaux arbres qu’il avait vu planter et grandir. Il avait même fait commencer la
construction d’une chapelle funéraire qui n’était pas encore terminée à sa
mort. C’est là qu’il fut inhumé le 26 décembre 1887, après avoir reposé pendant
trois mois dans les caves de l’église Notre-Dame.
M. Carrier
avait acheté de la ville de Lévis, le 13 octobre 1884, au prix de $10,000,
toute la partie supérieur du parc Shaw (aujourd’hui
Comme les légendes se forment vite!
Quand les nouveaux propriétaires détruisirent une partie du mur construit par
M. Carrier en 1884 ou 1885 un journal de Québec annonça
gravement que ce mur remontait au temps du seigneur Caldwell.
Les grandes entreprises d’aujourd’hui,
malgré que leurs employés soient formés en syndicats ou en fédérations, ont
détruit la solidarité ou la fraternité qui existaient autrefois entre les
ouvriers d’une même usine ou manufacture. Ces industries, le plus souvent,
appartiennent à des sociétés anonymes dont les ouvriers ne connaissent pas même
les officiers. Le géant de l’entreprise ne voit pas les ouvriers, les
contremaîtres sont les maîtres suprêmes dans les différents départements et si
un ouvrier qui a des griefs ose les porter à la direction, il se fait tout de
suite un ennemi de son chef immédiat et gare à lui s’il commet la moindre
erreur. C’est là un des grands défauts de ces agglomérations de centaines ou
encore plus de milliers d’ouvriers.
Quelle différence avec les usines
d’autrefois! Pour sa part, M. Charles-William Carrier,
sans avoir été ouvrier et sans connaître la technique de son établissement, fut
un des premiers patrons de son temps à comprendre qu’on doit attacher l’ouvrier
à son travail par des liens plus solides que ceux de la paie hebdomadaire.
L’artisan, qui ne sait pas pour qui il travaille, qui passe sa journée dans un
atelier malpropre, mal aéré, où les appareils sont un danger continuel pour
ceux qui les conduisent, devient vite une machine qui marche au ralenti, se
détraque et finit par produire peu ou même pas du tout. M. Carrier passait souvent dans chaque département de l’usine,
il s’intéressait au travail de l’ouvrier le questionnait, discutait avec lui,
le félicitait s’il y avait lieu. Les contremaîtres avaient instruction de bien
traiter les hommes sous leurs ordres. La discipline, l’ordre, la compréhension
existaient dans chaque département de l’usine. Le matin, les ouvriers
commençaient leur labeur avec plaisir et quand venait l’heure de la fermeture,
aucun d’eux ne se sentait trop fatigué et encore moins abruti. Tous avaient été
traités avec humanité et justice.
La sollicitude de M. Carrier pour son personnel allait encore plus loin. Chaque
année, dans la belle saison il conduisait ses employés et leurs familles, en
bateau, à l’île d’Orléans, à Saint-Michel de Bellechasse ou encore sur la côte
de Beaupré, pour toute
Le 17 août 1885, il nolisait le vapeur Pilot pour conduire ses ouvriers et
leurs familles à un endroit que bien peu d’entre eux auraient eu l’opportunité
de voir sans la générosité du patron. C’est à l’île aux Grues que ce jour
d’août 1885 les ouvriers eurent leur pique-nique annuel. La température était
superbe et la journée fut des plus agréables pour tous. Ceux qui assistaient à
ce voyage de plaisir, à voir l’entrain, la gaieté, la joie du patron, se
doutaient-ils qu’un peu plus de deux ans plus tard, il serait couché dans la
tombe?
Bref, comme on l’a dit bien souvent, les
ouvriers de Carrier, Laîné et
Cie formaient une grande famille dont le patron était le père respecté et aimé.
Répétons-le encore une fois. Pour qu’il
y ait entente entre le capital et le travail, il faut que les patrons et les
ouvriers se comprennent et s’estiment. L’ouvrier qui reçoit un salaire de $5 ou
$6.00 par jour se croit quitte envers son patron puisqu’il lui a donné son
travail pendant la même période. Si, en outre du salaire qu’il donne à son
ouvrier, le patron partage un peu ses joies et ses tristesses, celui-ci, s’il a
du cœur, comprendra que son employeur n’est pas son ennemi mais plutôt son
bienfaiteur.
Énumérer les « Ouvrages »
importants exécutées par
En 1874, la Compagnie des remorqueurs du
Saint-Laurent, dont le président était l’honorable Thomas McGreevy et le
gérant-général M. Julien Chabot, confiait à Carrier,
Laîné et Cie la fabrication de l’engin et de la machinerie du vapeur Progrès. Le navire fut lancé le 24 novembre
1874 et donna tout de suite entière satisfaction à ses propriétaires. Le Progrès fit la traversée du fleuve entre
Québec et Lévis pendant plusieurs années puis fut employé sur la ligne du
Saguenay. Le Progrès, évidemment,
n’avait pas la force des vapeurs d’aujourd’hui mais il était bien supérieur à
tous les vaisseaux du même genre construits avant sa mise à l’eau. J’ai souvent
entendu de vieux marins faire l’éloge de la machinerie du Progrès.
En 1877, Carrier,
Laîné et Cie construisaient le vapeur North
pour le compte de la Quebec and Levis ferry Co. Ce vapeur, d’un genre tout
nouveau, fit la traversée entre Québec et Lévis pendant douze ans. Sa
machinerie resta tout le temps en si bon état que lors de la reconstruction du North en 1885 on jugea à propos de
l’installer dans le nouveau vapeur. J’ai fait la traversée à bord du North des centaines de fois et je puis
assurer que même dans les marées assez fortes de l’automne la vapeur
réussissait toujours à suivre l’horaire fixé par la Quebec and Levis Ferry Co.
En 1880, le gouvernement du Canada
confiait à
L’année 1881 fut un période de travail
de jour et de nuit pour l’usine Carrier, Laîné et
Cie. Les autorités du chemin de fer Intercolonial avaient donné au patron une
commande de cent wagons plateformes. Comme toutes les entreprises faites par
les gouvernements on avait attendu à la dernière minute pour donner les plans
de ces wagons et une fois l’ouvrage en marche les ouvriers durent faire
diligence pour le finir, le chemin de fer ayant un besoin pressant de matériel.
C’est précisément pour avoir leurs wagons plus rapidement que les officiers de
l’Intercolonial pratiquèrent une voie d’évitement dans les cours de l’usine Carrier, Laîné et Cie.
En 1883, les ouvriers de Carrier, Laîné et Cie, toujours fiers de montrer leur ouvrage
aux connaisseurs, eurent l’occasion de se rejouir. La Quebec & Levis Ferry confiait,
en effet à Carrier, Laîné et
Cie la construction et l’aménagement complet du traversier Polaris que la génération actuelle n’a connu que de nom mais dont
celle qui l’a précédée n’a pas oublié les prouesses à travers les glaces. Le Polaris fut lancé le 30 octobre 1883 et
commença ses voyages réguliers entre Québec et Lévis dès le mois suivant.
Carrier,
Laîné et Cie fabriquaient à peu près de tout dans leur usine. En
On sait qu’en 1885, les citoyens de
Lévis élevaient une statue au fondateur de
Mais j’ai hâte de dire un mot de l’œuvre
la plus délicate et peut-être la mieux réussie de l’usine Carrier, Laîné et Cie du vivant de son fondateur. Je veux
parler du yatch de plaisance le Ninie.
Qu’était le Ninie. Ce ne sont pas
ceux de ma génération que pareille question embarasserait. Les jeunes et les
vieux de mon temps connaissaient le Ninie,
le plus élégant, le plus beau et le plus rapide yatch à vapeur du port de
Québec aux alentours de 1885. Il était la propriété de M. Charles-William Carrier. Il ne faudrait pas croire toutefois que M. Carrier avait voulu jouer au millionnaire ou au nabab en
faisant des croisières avec le yatch Ninie.
Il aimait à donner tout le confort désirable à sa famille mais ses goûts et
ceux des siens étaient trop simples et trop raisonnables pour se permettre un
tel luxe. Le yatch Ninie était venu
en sa possession par la force des circonstances.
Et, puisque l’ancienne usine Carrier, Laîné et Cie faisait pour ainsi dire partie de notre
patrimoine national, elle fut, en effet, la première grande industrie
canadienne-française, pourquoi ne pas suivre son histoire depuis la mort de son
fondateur jusqu’à sa fin, plus encore jusqu’à la dispersion des murs qui lui
avaient servi d’abri?
M. Charles-William Carrier laissait trois fils qui à sa mort avaient Louis,
vingt ans, Charles-Henri dix-huit ans, et Omer quatorze ans. Tous trois firent
leurs études à l’université d’Ottawa et étaient ce qu’on peut appeler des
jeunes gens d’avenir. Leur père avait tenu à leur donner une instruction en
rapport avec les besoins de l’importante entreprise qu’ils auraient à diriger
plus tard. Mais hélas! La Providence dérange parfois en quelques jours ou en
quelques heures les rêves qui paraissaient les plus légitimes, les plans les
mieux préparés.
L’aîné des fils de M. Carrier, Louis un jeune homme sérieux, studieux, qui montrait
déjà les plus belles dispositions pour succéder à son père, quelques mois à
peine après la disparition du fondateur, fut à son tour surpris par
Charles-Henri Carrier, deuxième fils de M. Carrier,
à peine sorti de l’université d’Ottawa, fut appelé à prendre la direction de
l’usine Carrier, Laîné et Cie. Comme son frère défunt, il était
intelligent, actif, plein de bonnes dispositions, et en quelques années aurait
fait un chef d’industrie idéal. Mais le mauvais sort s’acharnait sur
Charles-Henri Carrier ne se laisse pas décourager par ces coups successifs
de
À l’automne de 1905, la banque de
Montréal, créancière de Carrier, Laîné et
Cie, demanda à la société de faire cession de ses biens, en invoquant qu’elle
avait cessé ses paiements. MM. Carrier, Laîné et
Cie contestèrent la demande de cession et prétendirent qu’ils étaient solvables
et capables de payer leurs dus légitimes.
Justifiée ou non, la réclamation de la
banque de Montréal fut la cause de la fermeture puis de la ruine de l’usine Carrier, Laîné et Cie. Quelques autres créanciers, rendus craintifs
par cette procédure de la banque de Montréal, se mirent de
Le plaideur connait la date de la
première procédure dans l’action qu’il a intentée. Quel est celui qui peut
prédire quand finira une instance en cour? Les procédures de la banque de
Montréal contre MM. Carrier, Laîné et
Cie avaient commencé dans l’automne de 1905 et elles duraient encore en 1908.
Cette longue agonie d’une industrie qui
promettait tant se termina le 14 août 1908, à la porte de l’église Notre-Dame
de Lévis par la vente à l’enchère de l’usine Carrier,
Laîné et Cie à la banque de Montréal pour le prix relativement peu élevé de
$380,000.
Un journal du temps donna la liste des
enchères successives faites ce jours-là pour l’achat
de la célèbre usine : Je le cite :
1ère enchère, Joseph Paquet,
$50,000;
2e enchère, Edmond
Taschereau, $100,000;
3e enchère, F. J. Cockburn
(pour la banque de Montréal), $150,000;
4e enchère, Edmond Taschereau,
$200,000;
5e enchère, F. J. Cockburn,
$250,000;
6e enchère, Edmond
Taschereau, $275,000;
7e enchère, F. J. Cockburn,
$300,000;
8e enchère, L.-O. Audet,
$315,000;
9e enchère, Edmond
Taschereau, $325,000;
10e enchère, F. J. Cockburn,
$340,000;
11e enchère, L.-O. Audet,
$350,000;
12e enchère, Edmond
Taschereau, $370,000;
13e enchère, F. J. Cockburn,
$375,000;
14e enchère, Edmond
Taschereau, $376,500;
15e enchère, F. J. Cockburn,
$377,000;
17e enchère, Edmond
Taschereau, $377,500;
18e enchère, F. J. Cockburn,
$379,000;
19e enchère, Edmond
Taschereau, $379,250;
20e enchère, F. J. Cockburn,
$379,500;
21e enchère, Edmond
Taschereau, $379,700;
22e enchère, F. J. Cockburn,
$380,000;
Ainsi se termina ce duel qui pouvait
être intéressant pour les badauds, mais que les employés de l’usine et ceux qui
s’intéressaient à son sort suivirent avec une tristesse qui s’alliait bien avec
la température de ce 14 août 1908, jour sans soleil, presque sans chaleur.
De la banque de Montréal, l’usine passa
au gouvernement du Canada (chemin de fer nationaux) qui au lieu de l’exploiter
la loua à
Quand vous vous rendez à Beaumont par la
route qui longe la cime du cap et donne une si belle vue
du Saint-Laurent et de la côte nord, un peu avant d’arriver à la première côte
dominée par la somptueuse maison de M. Hearn, avocat de Québec, vous voyez au
nord de la route, une maison lambrissée de briques rouges qui ont un peu perdu
leur couleur avec le temps. C’est la seule maison du genre dans toute cette
partie de l’ancien fief de Vincennes. Je ne vois jamais cette maison sans un
peu de mélancolie. Quand le gouvernement du Canadien National décida de jeter
par terre l’ancienne usine Carrier, Laîné et
Cie parce que, paraît-il, elle pouvait tomber sur les passants de
Qu’on le croit ou non, les vieilles
maisons parlent à ceux qui les aiment et les respectent. Celle de Beaumont
semble raconter une triste histoire, celle de l’usine Carrier, Laîné et Cie qui fut un jour la gloire de
l’industrie canadien-française et n’est plus qu’un souvenir qui s’efface de
jour en jour.
Pour être plus complet, j’ajoute que
l’ancien quai McKenzie devenu le quai de la Fonderie après son achat par Carrier, Laîné et Cie fut plongé en quai à eau profonde par
le gouvernement du Canada en 1907, au coût de près d’un demi-million de
dollars. Sur ce quai on installa en 1915 un appareil à décharger le charbon
(coal Plant) très ingénieux mais qui coûta lui aussi une somme énorme. Cet
appareil sortait le charbon des cales des steamers océaniques puis le plaçait
dans des wagons minuscules qui, à leur tour, déposait leurs charges dans les
grands wagons placés sur une voie d’évitement. La poussière que produisaient ces
différentes opérations montait en nuages épais sur la cime du promontoire de
Lévis et était une cause d’ennui pour tous les résidents de
M. Charles-William Carrier avait épousé à Lévis, le 1er juin 1864,
Henriette-Camille Carrier, fille de
Louis Carrier et d’Emélie Valois. Madame Carrier décéda à Lévis le 8 février 1908, à l’âge de 69 ans.
1º Louis-William Carrier, décédé à Denver, Colorado, le 28 novembre 1888, à
l’âge de 21 ans et 11 mois.
2º Charles-Henri Carrier, marié à Justine Dunham (15 juin 1892) et décédé à
Sainte-Marguerite du lac Masson le 12 décembre 1939, à l’âge de 65 ans.
3º Omer-H. Carrier,
marié à Corinne Hamel (17 avril 1894) et décédé accidentellement près de
4º Marie-Emélie-Henriette Carrier, mariée à Arthur Belleau Vanfelson (11 février 1890)
et décédée à Québec le 27 mai 1940, à l’âge de 71 ans.
5º Marie-Henriette-Georgiana Carrier, mariée à Louis-Philippe Dorval (14 juillet 1903)
6º Marie-Laetitia-Augustine Carrier, Mariée à Almanzor Lamontagne (20 août 1902) et
décédée à Lévis le 8 août 1903, à l’âge de 25 ans et 8 mois.
Madame Dorval est donc la seule
survivante des enfants de M.-Charles-William Carrier.
(Voir page 184 à
238)
Les fils de François-Xavier Roy
*******************************************
5º
David, qui fut lui aussi entrepreneur menuisier et décéda le 23 août 1901, à
l’âge de 60 ans. Marié à Damassie Huard (8 mai 1868) puis à Hélène Carrier (21 novembre 1870). Père de Joseph-Eugenie, avocat,
décédé en 1914; Marie-Eugenie, mariée à François-Xavier Laflamme, décédée;
Joseph-Valère, curé de Lévis et chanoine; Marie-Emma; Réné, ancien échevin de
Lévis, décédé; Alice, décédée; Lucien,
Marie-Eugenie-Hélena, mariée à Eudore Bernier.
(Voir
page 262)
----------------------------------------------------------------------------
Jean Baptiste Blouin
Dans
l’été de 1876, une élection de marguilliers avait lieu à Notre-Dame de Lévis
pour remplacer Claude Lemieux, qui habitait la nouvelle paroisse de
Saint-David. Il y eut lutte entre les abouts, comme on disait alors, et le
centre de
(Voir
page 267)
APPENDICE
PRÊTRES
NÉS À NOTRE-DAME-DE-LÉVIS
2º L’abbé Jean-Baptiste Thibault né le
14 décembre 1810, du mariage de Jean-Baptiste Thibault et de Charlotte Carrier (1). Ordonné prêtre à la Rivière-Rouge le 8 septembre
1833. Décédé curé de Saint-Denis de Kamouraska le 4 avril 1879.
(1)
Baptisé à
l’église de Saint-Joseph de Lévis.
*******************************************
11º L’abbé Charles-Édouard Carrier né le 22 mars 1853, du mariage de Georges Carrier et de Julie Labadie. Ordonné prêtre à Québec le 28
(Voir
pages-276 et 277)
*******************************************
38º Mgr Joseph Hallé né le 6 décembre
1874, du mariage de Odule Hallé et de Rose de Lima Carrier.
Ordonné prêtre à Québec le 23
*******************************************
42º L’abbé Valère Roy né le 9 octobre
1876, du mariage de David Roy et d’Hélène Carrier.
Ordonné prêtre à Québec le 22 avril 1900. Curé de Notre-Dame-De-Lévis.
(Voir
pages 282 et 283)